Aujourd’hui, ermite assumée, solitaire revendiquée, je ne suis toujours pas misanthrope, mais bien sceptique en tout point (ce que beaucoup semblent souvent associer sans raison logique).
Bien que j’aie été éduquée avec la conviction qu’il fallait à tout prix être indépendant.e et ne compter que sur moi et ma famille proche, les choix que j’ai faits dans ma vie à partir de mes 14 ans, durant une quinzaine d’années, m’ont fait comprendre beaucoup de choses.
Nul échec, que des tentatives et des expériences qui m’ont apporté une solidité, une maturité, une confiance en moi, et de facto, une souveraineté à toute épreuve…
De tout cela, une des erreurs, que j’ai à plusieurs reprises commise, et dont, bien que je n’aie aucun regret de tout ce que j’ai vécu, j’aurais aimé comprendre l’ampleur et l’impact réel, bien plus tôt !
Cette erreur dont je parle ici, trouve sa genèse dans la notion même d’état civil et de hiérarchie, le tout sponsorisé et alimenté par une pensée, dite philosophique, institutionnalisée, doctrinale et indéboulonnable, tant elle est « antique ».
Je fais ici référence à une citation que l’on retrouve à deux reprises dans l’œuvre de Platon, à savoir dans le Menon et l’Apologie de Socrate, elle est énoncée ainsi : « ἕν οἶδα ὅτι οὐδὲν οἶδα » ce qui signifie « Je sais une seule chose, que je ne sais rien ». Dans le langage courant, on entend plus souvent cette maxime, attribuée à Socrate, mais dont nous avons uniquement la trace via Platon (rien ne nous prouve que Socrate l’ait réellement prononcée) comme suit : « Je sais que je ne sais rien ».
Je me suis très (certainement trop) longtemps servie de cette maxime comme mantra. En effet, croire que je ne savais rien, sauf le fait que je savais cela-même, m’a systématiquement poussée à savoir, et à savoir le plus possible. Je rappelle que, vivant à l’époque dans une dimension où celui qui sait est supérieur à celui qui ne sait pas, je n’avais aucune envie d’être dominée, ou alors par le moins possible…
Ajoutant à cela, grâce à mes savoirs chaque jour nouvellement acquis, la croyance dans une autre maxime, que j’attribue volontiers, entre autres, à Anthony Robbins, dont il explique le mécanisme dans son (long) ouvrage au titre éponyme : Pouvoir illimité, Retrouver confiance, gagner et réussir par la PNL, avril 2008.
Me voilà armée de deux croyances fondamentales, a priori paradoxales, mais qui s’alimentent parfaitement pour faire de moi l’actrice du propre piège dans lequel je me suis trouvée enfermée, à savoir, celui du conseil, et de l’aide qu’il est nécessaire de demander pour progresser, m’élever et enfin appartenir à l’élite, afin de ne plus être dominée…
En effet, j’ai bien souvent souffert des conseils et de l’aide que j’ai cru bon de demander. Je ne dis pas ici que toute aide ou tout conseil, avis seraient toxiques. Cependant, une bonne partie de ceux qu’un apprenti reçoit, qu’il les ait sollicités ou non, lui sont toxiques. Ces effets toxiques peuvent être immédiats, comme par exemple lorsque l’on demande un conseil à autrui en matière de choix à faire, la toxicité peut résider soit dans le fait que le conseil obtenu par la personne sollicitée, ne soit pas celui que l’on désirait recevoir, soit que le conseiller en question ne soit pas bien intentionné et délivre ainsi un conseil qu’il sait pertinemment ou non (en fonction du degré de conscience) nuisible au demandeur… la toxicité de l’aide peut se ressentir a posteriori, soit que l’on ait suivi le conseil demandé et qu’il s’avère avoir un effet néfaste, soit que l’on ne l’ait pas suivi et qu’il en découle une tension avec l’aidant, ou bien que l’objectif qui voulait être atteint par l’aide demandée ne le soit pas, de là naît un sentiment de culpabilité.
Il est évident que les notions de conscience et d’inconscience d’une part et d’objectivité et subjectivité d’autre part sont à prendre sérieusement en compte. On peut vouloir reprocher à quelqu’un de nous avoir mal conseillé, il sera tenu compte dans le tribunal mental personnel, à la fois de responsabilité et d’intentionnalité. En effet, si on reproche à quelqu’un de nous avoir mal conseillé, spontanément, la rancœur sera atténuée si on juge la personne inconsciente d’avoir voulu mal faire et si d’autres circonstances vont dans le sens de sa déresponsabilisation. Cependant, on nourrira certainement un esprit, acquis et vil, de vengeance si l’on venait à découvrir que le conseiller a sciemment orienté son aide, de sorte qu’on en pâtisse.
Ce dernier point est à reprocher à ce que je nomme l’aide non requise, d’office toxique. Comme pour beaucoup de choses, si ce n’est toutes celles qui régissent les relations interpersonnelles, je considère que le consentement est à requérir systématiquement. Ainsi, il sera plus agréable, de s’entendre dire, lorsqu’on nous suppose dans le besoin, « puis-je proposer mon aide d’une manière ou d’une autre ? », plutôt que directement « je pense que tu ne devrais pas / que tu devrais plutôt… » ou encore « à ta place je ferais ceci, cela, comme ci, comme ça…. ».
Et pour cause, s’adresser ainsi à quelqu’un sans avoir pris la peine de savoir s’il avait donné son accord pour entendre ces mots et recevoir cet avis non sollicité, est pour moi, une violation de l’esprit. Tout comme le consentement est une évidence (pas pour tout le monde cela dit), en matière de relation sexuelle, il devrait l’être partout ailleurs et très certainement dans le domaine du soin, de l’aide et du conseil, voire de l’éducation !
Évidemment, un sage aguerri et maître de soi, ne doutant plus de sa seule responsabilité quant à l’exercice de sa liberté, et donc de son état de bien ou mal-être, saura, avec la déférence requise, remercier (sincèrement, ou non) son interlocuteur, et pourra évaluer calmement la valeur et l’accord qu’il veut donner à cette intrusion mentale. Cependant, qu’en est-il de l’apprenti sage qui ne se connaît pas encore et est soumis aux affres des émotions naturelles face à un viol psychologique ? En proie à la culpabilité d’une part, notamment celle liée à l’impolitesse que peut requérir le refus de l’aide proposée, ou pire, celle du refus d’application de l’aide obtenue (qu’elle ait été demandée ou non), et d’autre part, mettant sérieusement en doute sa capacité à se passer de l’aide extérieure, de par sa position d’infériorité permanente, tant qu’il donne du crédit à l’adage qui veut qu’il ne sait rien et dont il est encore un peu trop convaincu… A cet aspirant à l’élévation, à la confiance et à l’autonomie, je conseillerais (tout d’abord de ne suivre aucun conseil, et surtout pas les miens !) l’isolement, la séparation et l’exclusion totale du système hiérarchique (social, professionnel, familial, amical, thérapeutique…), qui le positionnera systématiquement au-dessus d’autrui, et surtout en-dessous de quelqu’un qui saura plus que lui, cela étant rendu manifeste dans la société par la reconnaissance d’une supériorité à quiconque détiendra la preuve, non pas visible dans la réalisation matérielle, mais dans l’imaginaire collectif, grâce notamment à l’exhibition de titres, diplômes et autres certificats, donnés, acquis, achetés, plus ou moins légitimement, par une institution.
Certains de ces titres sont dans la société ainsi hiérarchisée, bien souvent inattaquables, notamment ceux reconnus par le sacro-saint État, qui adapte en fonction de ses besoins de domination, les domaines et les personnes à qui est accordée ou non la légalité, et donc la légitimité (par truchement de la vérité) de détenir un savoir. Or ce sont donc ces professeurs, ces médecins, ces penseurs, reconnus par le pouvoir en place qui sont présentés à la masse comme seuls détenteurs de la vérité, (le tout sous couvert de « science », qui signifie « ensemble des savoirs »), il semble tout naturel et bien souvent obligatoire de se diriger vers ces élites pour recevoir les conseils, aides et soutiens dont on a besoin. Et si cela paraît naturel pour une grande partie de la populace, c’est certainement parce que celle à qui cela ne semble pas évident, a été hermétique au formatage de sa pensée, notamment par l’instillation d’une croyance, comme celle supposément attribuée à Socrate, père fondateur proclamé par une pensée unique, qui vise à déposséder un peuple de sa liberté de croire dans le fait qu’il sait déjà tout, qu’il n’a besoin d’aucune aide extérieure* (or, Jésus lui-même a dit : « En effet, voici que le règne de Dieu est au milieu de vous » Luc, 17, 20-25) et qu’il - le peuple - est son propre souverain intérieur. Penser ainsi risque en effet de mener à l’insubordination, à la révolte, ou encore au désintérêt total et à la non-reconnaissance de l’ordre établi, ce qui remettrait sérieusement en cause la notion d’état civil, autoriserait un retour ou un maintien dans l’état de nature, là où l’homme sauvage, contrairement à l’homme civilisé, connaît la liberté, totale, et vraie.
En conclusion : "Aide-toi et le Ciel t'aidera" !
* sur ce point il est d’ailleurs intéressant de constater que certaines religions invitent à croire que Dieu est à l’extérieur de nous, ce qui facilite, vous comprendrez bien, l’installation du projet selon lequel la connaissance, la science et la vérité, sont à l’extérieur, et légitime, voire impose la soumission à autrui.
Que la paix soit sur vous,
حبيبة
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